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URA :
négatif,
extérieur, revers,
Partie
cachée
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Il faudra
bien dire un jour, et veuillez pardonner cette mise en scène,
que ce qui m'a toujours captivé à H...,
c'étaient les garçons dans la cour. A M... aussi, je
me le rappelle bien je ne cherchais qu'un regard perdu,
hésitant, vide de sens et pourtant signifiant, dans le code
inaltérable du désir. Encore plus loin dans l'histoire,
le lycée de B... était le lieu de parties infinies
de cache-cache, quoi de plus fécond - la
stérilité, que je me reproche souvent est
postérieure, on en parlera plus tard, qu'il soit d'abord ici
question de plaisir - pour un enfant ? Force m'est de reconnaître
qu'il s'agit là du caractère le plus constant, le plus
immuable de mon caractère pourtant vacillant sur bien des
angles. Je crois avoir déjà écrit cela, autrefois,
quand les mots n'étaient pas encore des mots, mais des
stéréotypes qui ne parlaient pas du réel. Le
réel n'avait alors pas d'existence propre, et ne se manifestait
que par à coups, toujours agréables.
Item. Incessants va-et-vients autour de désirs morts,
résuscités et en fuite. On aimerait une symphonie (la
cinquième de B., par exemple, au-delà de quelques accords
trop connus), mais c'est plutôt une conspiration, celle d'un
corps vide qui ne sait où il va, ou bien, un inconscient qui
pour s'enrichir, traverserait de Freud à Lacan, puis à
Derrida, dans un texte purement corporel : pas de hors-corps,
citintentionnalité, le rêve comme texte écrit, et
non
pas à écrire. Il n'y a pas grand chose de plus laid,
qu'un récit qui ne s'écrit pas, qui ne se lit pas, qui
n'existe que pour lui-même, sans autre lecteur qu'une conscience
endormie. Une petite sorte de fascisme. Voilà, le terrible
désaccord entre moi et moi, la fondamentale disharmonie,
l'essentiel grincement.
Item. Souvenir d'enfance, le petit enfant sage se moque d'un autre,
choqué par son jeu, sa tentative de réalisation en
être pour les autres, je le dénonce aussi sec, et je fuis,
ayant accompli ma sale besogne, le privant de sa mise en scène,
après avoir fait de lui mon égal dans la misère de
l'homme seul au milieu de ses semblables (semblables mais pas tout
à fait...). Mais il me fallait accomplir cet acte de parole,
première incursion de mon envie et de mes craintes dans les
sociétés extérieures. Hier, rencontre au G... de
jeunes gens, couple incestueux brillant de paillettes, renvoyant aux
images de fête et de crainte, dans le lieu même ou
s'exprimera toujours le désir comme interdit. Sans doute le lieu
fait-il les circonstances.
Parfois il me semble que je voudrais, pourrais ne pas avoir peur des
mots, les aimer et les manipuler comme tel en oubliant, non pas leur
sens, mais ce que j'imagine être leur connotation dans l'esprit
des autres qu'ils pourraient croiser. Je pense à l'incipit de Souvenirs Pieux : "L'être que j'appelle moi vint au
monde un certain lundi 8 juin 1903." Accepter la bonne surprise de
cette phrase étrange, "l'être que j'appelle moi", sans
penser que le surgissement de ces mots dans mon imaginaire soit un gage
déplaisant de leur facilité. Assumer le langage, comme
j'assume en Aïkido le geste qui fait taire en moi le flot
autrement ininterrompu de la pensée se retournant vers elle
même dans un souci de narcissisme désabusé. Faire
en sorte que la réalité des mots advienne comme la
réalité de l'autre au cours de l'échange. "Et
alors, j'adore..." dit Clarice Lispector.