Exercice de la parole

20071015

Transmission de la fleur et du style

Le vent ne cesse de souffler sur ce morceau du monde. Le jour autant que la
nuit, le souffle emporte le rêve, et aussi les peurs. Toutes les fois que je
suis ici, le désir de profondeur me saisit, m'emportant vers les reliefs de
l'île. Pas cette fois, pourtant, où je me tourne vers la mer, et le paysage cent
fois changé des nuages. Le bruit incessant du vent dans les branches est comme
le "charme subtil" cherché par Zeami dans le théâtre Nô. Passé, avenir,
angoisse, bonheur; et l'autre : fantôme vivant, souffrant, chanté par les
filaos.

20071014

"Je t'en prie, ne cherche rien en dehors de toi-même
Sous peine de te perdre à jamais.
Aujourd'hui je m'en vais seul
Et cependant je te rencontre partout.
Tu n'es autre que moi-même,
Bien que je ne sois pas toi,
Nos esprits sont emmêlés dans l'absolu."

Tozan Ryokai


Il fait si beau, le ciel est si bleu qu'il est difficile de croire en la
malédiction prononcée dans la nuit.

Toutes les cartes postales que je ne t'envoie pas, toutes les lettres que je ne
t'écris pas. Tous les livres composés délicatements par d'autres et que j'aurais
aimé que tu lises...

Tout est là.

C'est bien, d'une certaine manière, en rapport avec la foi, et dangereusement
près de l'abîme...

Bouteille à la mer

Est-ce que tu m'attendras ? Est-ce que je t'attendrai ?
Je ne sais plus vraiment parler...
L'expérience, cependant, et c'est ce qui est rassurant, affirme que l'on
n'oublie pas ceux qu'on a vraiment aimé.
Cependant, aujourd'hui je me sens bien éloigné de ceux et de ce que j'aime.

Une bouteille à la mer, un pas vers l'écriture...

20051018

Evénement

Il est temps de sortir des cartons le projet 19h12.
De quoi s'agit-t-il ? D'un nom ?
D'un fil ?
"Nous en parlerons plus tard..."

20050123

Someone is taking my soul away from me

Retour,
Rivages,
Mer
Incantations :

"Libérer l'imagination afin que lui soient donnés ses pleins moyens d'expression présuppose de réprimer une grande part de ce qui est présentement libre dans la société répressive. Un tel renversement n'est pas un problème de psychologie ou de morale, c'est un problème politique, au sens où ce terme a déjà été utilisé ici : la politique c'est la pratique dans laquelle les institutions sociales de base se développent, sont définies, sont maintenues, sont changées. C'est la pratique des individus, quelle que soit la façon dont ils sont organisés. Ainsi il faut une fois de plus se poser la question : comment les individus admninistrés - dont la mutilation est inscrite dans leurs libertés, dans leurs satisfactions, et se multiplie sur une échelle élargie - peuvent-ils se libérer à la fois d'eux-mêmes et de leurs maîtres ? Comment peut-on penser que le cercle vicieux peut être brisé ?"
Herbert Marcuse, L'homme unidimensionnel, 1964

"Mais qu'est-ce qui t'arrive ?
- Rien
- Comment rien ?
- Maintenant est venu le moment de nous séparer
- Après tout ce que j'ai fait pour toi tu veux m'abandonner ?
Mais dis-moi au moins pourquoi
- Parce que
- Mais tu es mon fiancé non ?
- Ma famille ne t'aime pas trop, tu sais, et elle ne veut pas me laisser me marier avec toi
- Mais ta famille... Tu as tué toute ta famille !
- Tu crois ? Je ne me souviens pas.
- Mais qui es-tu ?
- Devine..."
Raoul Ruiz, La ville des pirates, 1983

20050106

Susan Sontag

Je ne vous connaissais que par une pensée grivoise du Déclin de l'Empire américain et quelques pages sur Syberberg. Il semble que nos goût cinématographiques aient été les mêmes. Vous êtes morte, maintenant, mais je pourrai vous lire.

Sur les chimères, ou bien peut-être la mienne.
Lorsque je croise, à la fac, ces doctorants qui m'interrogent sans cesse sur mon "travail", mon mémoire, avec cette lumière dans les yeux qu'on garde pour les amants, pensant sans doute à leur propres pages, recherche, comme partie centrale et organique de leur vie. Ou bien, mon ami G. et son plan de carrière, ou bien encore J. et son bar, tout un langage déraisonnable et qui m'angoisse, terriblement, d'être à ce point sans objet, sans piste à parcourir et à laquelle tout sacrifier.
Ou bien peut-être la voie, celle qu'on emprunte au dojo, et l'amour, quelque amoureux à l'attention duquel je rassemble mes maigres forces. Comme à l'impression de beauté qui peut détruire, la beauté comme choc, révélation aussitôt arrachée, comme quelque chose qui n'advient que sans vous et dont vous constituez le témoin involontaire et passager. Sans objet, oui, c'est aussitôt une posture aussi improbable que poétique... Comment se connaître, lorsqu'on perd comme pour toujours une naissance inachevée, sinon à lire Platon comme une longue suite hystérique et folle. Platon, Thérèse et moi, l'extase.

20050105

Zoologie appliquée à la littérature

"Un homme et sa CHIMERE ne réagissent pas l'un sur l'autre à la façon de l'âme et du corps. C'est pourtant un lien de ce genre qui les unit. Je les rapprocherai plutôt pour ma part des corps électrisés; les parties échauffées du cavalier prenant contact avec le dos de la CHIMERE, après de longues traites et de vigoureuses frictions, il advient que le corps du cavalier se trouve enfin chargé de tout le fluide CHIMERIQUE qu'il peut contenir. Il suffira donc de décrire clairement la nature de l'un pour donner une idée assez juste du genre et du caractère de l'autre."
Sterne, Tristram Shandy, I, 24

"Je vais me mettre à travailler furieusement, à peine rentré; je l'espère du moins. La vie n'est tolérable qu'avec une marotte, un travail quelconque. Dès qu'on abandonne sa chimère, on meurt de tristesse. Il faut se cramponner dessus et souhaiter qu'elle nous emporte."
Flaubert, lettre 759 du 22 juin 1863

"Chimères : mes chéries"
Leiris, Glossaire : j'y serre mes gloses

20041014

Fièvre du langage. Etonnante, effrayante, presque.
Il n'y a plus le temps de rêver, sinon, lire, quelques événements passés, qui
reviennent, tels un hymne, celui d'un pays qui refuse de disparaître.

20041012

J. D.

disparition de Derrida, dont la parole si agile et bienveillante m'accompagnait ces dernières années, depuis le séminaire d'Hélène jusqu'à ses derniers livres, ses apparitions en jeu de piste et les tours et détours en écriture. Beaucoup de chagrin, et la sensation d'une lourde responsabilité : qui prendra maintenant soin du langage, sans toi, comment ne pas te lire, perpétuellement, en tentant de sauver ce qui reste, jusqu'à Ester ma jolie ? Jacques Derrida, idole d'une jeunesse qui n'a pas existé, je jure d'habiter longtemps vos ruines.

20040905

L'adieu aux lettres : une tradition française

Je voudrais citer ici un passage du livre de BHL, Le Siècle de Sartre : enquête philosophique, Grasset, Paris, 2000. Il est certain que cela n'arrivera pas souvent, mais j'ai trouvé ces lignes amusantes et non sans intérêt.

"Le geste, en son principe, n'a rien de particulièrement nouveau.
C'est même, d'une certaine manière, un classique du cabotinage, de la comédie ou de l'art du vertige dans les lettres.
Et l'on pourrait parfaitement soutenir que l'adieu à la littérature est, comme tel, sous des formes qu'il faudrait décliner, un genre littéraire à par entière où s'inscrirait donc Les Mots.
Il y aurait les adieux tragiques : Rimbaud.
Les adieux mystérieux : Racine
Les adieux paresseux, qui prennent à peine la peine de se formuler : Constant.
Il y aurait les adieux cossus : Leiris, Alexis Léger, Roussel.
Honteux : Malraux prenant congé sans jamais le dire, en battant indéfiniment, histoire de faire illusion, les cartes de ses anciens livres.
Il y aurait, à l'inverse, l'adieu du vieux comédien (Romain Gary) qui n'en finit pas de finir, d'annoncer sa sortie de scène alors même qu'il continue de donner des livres magnifiques.
Il y aurait l'adieu tendance autodafé d'Aragon brûlant, sur le parquet d'un hôtel de Madrid, face à une Nancy Cunard qu'il décrira "immobile et figée", les mille cinq cent pages de Défense de l'Infini.
Il y aurait les adieux sobres, laconiques, de Valéry : pas un mot, pas un geste, juste se taire, à peine lire - et le silence, pourtant, au moins jusqu'à La jeune Parque.
Les adieux qui sont une aventure, presque une oeuvre, un moment de l'oeuvre en tout cas, un événement littéraire à part entière : Valéry, justement - mais, plus encore, Mallarmé, cet entrepreneur d'un silence dont la culture, presque la sculpture, du non-dit furent la grande affaire.
Il y aurait les adieux qui ne disent rien qu'adieu, mettent réellement un terme à l'aventure et disent juste le dégoût d'écrire et le goût de tourner la page : Salinger après L'Attrape-Coeur ; et il y aurait les adieux qui, au contraire, sont supposés faire d'un écrivain un peu plus qu'un écrivain : il a frôlé les abîmes, touché à la métaphysique et à l'effroi - la littérature, en prenant congé, s'est dépassée vers sa vérité (Rimbaud, encore).
Il y a ceux qui s'éloignent parce qu'ils n'ont plus rien à dire (Paul Bowles, après la mort de Jane) et il y a ceux qui le font parce qu'ils auraient, au contraire, trop à dire et que ce trop ne peut se dire (plus de poésie possible après Auschwitz).
Il y a ceux qui ont tendance à se taire parce que leur parole serait obscure et qu'il faut être clair (Wittgenstein, Tractatus, Proposition 7 : "ce dont on ne peut parler, il faut le taire") et ceux qui savent que leur parole serait claire, trop claire et que la vérité doit demeurer obscure (Lacan et son mi-dire).
Il y a des silences éloquents (Lacan, encore : "taceo n'est pas sileo"), et des paroles qui ne disent rien (Heidegger : le ressassement sans terme de mots sans contenus, de clichés).
Il y a ceux qui ont compris que la parole est silence et qui, en parlant, se taisent et croient se taire mieux qu'en ne disant rien : Blanchot ; et il y a ceux qui, partant du même principe que le silence a partie liée à la parole, qu'il en est le stade suprême ou la forme la plus subtile, font le chemin inverse et en se taisant, parlent : Mallarmé encore, ce muet qui ne cesse de parler, ce volubile qui dit et répète que "composer" un silence n'est "pas moins beau" que composer un vers.
Il y a les adieux enragés : Bataille annonçant, en 1945, qu'il n'a jamais "rien tant haï que la poésie", qu'il a en horreur la "niaiserie poétique", et qu'il écrit désormais "contre l'équivoque poétique".
Les adieux ulysséens : le Caillois de l'après-guerre s'attachant bien fort au mât de ses principes et de sa haine nouvelle de la fiction, pour être bien certain de ne plus céder aux sirènes.
Désanchantés : Pasolini, au moment de son passage au cinéma - "ainsi a décliné l'estime pour la poésie"; ainsi s'est imposée cette évidence que "ce n'est pas elle, donc, qui compte, jamais"; ainsi se dit que "la langue de l'action" est "infiniment plus fascinante" et que "la profession de poète en tant que tel est de plus en plus insignifiante".
Prophétique : Borges - "j'ignore si la musique sait désespérer de la musique, et le marbre du marbre, mais la littérature est un art qui sait prophétiser le temps où elle sera devenue muette, s'acharner contre sa vertu même, s'éprendre de sa dissolution et courtiser sa fin."
Il y a même les adieux "d'emblée" - les écrivains dont le premier mot consiste à dire qu'ils ne diront jamais et qu'il n'y aura donc, même pas de dernier mot : dandysme extrême de ces surréalistes mineurs, ou de ces précurseurs, qui, tel Arthur Cravan, le déserteur de dix-sept nations qui disparut, un beau jour, dans le golfe du Mexique, et ne démordra jamais de l'idée qu'il met l'art de la boxe infiniment plus haut que la littérature.
Il y a des écrivains qui, sans réellement se taire, ni dire adieu, passent leur vie à murmurer que ce n'est pas l'envie qui leur manque - il y a ces grand romanciers qui, contre le pathos de convention, contre le thème romantique et néoromantique des livres que l'on écrit parce que l'on mourrait de ne pas l'avoir fait, contre ce que l'on peut appeler, de nouveau, la "ligne-Proust" (la littérature comme un devoir, un impératif moral et machinal) ou Bataille (les romans nécessaires sont ceux qui, non écrits, nous étoufferaient), ont estimé que faire des livres n'était ni le premier ni le dernier mot de leur vie - Balzac : "si j'avais été bon en affaires, je n'aurait pas écrit la Comédie humaine..." Stendhal : "si j'avais été heureux en amour..." Céline : "contre une rente à vie, je vous débarrasserais le plancher vite fait..." Flaubert lui-même : "la littérature n'est plus pour moi qu'un terrible godemiché avec lequel on m'encule et qui ne me fait même pas jouir."


Je n'ai pas demandé l'autorisation de "publier" un aussi large extrait à l'éditeur, compte tenu du peu de fréquentation effective et potentielle de ce weblog. Si quelqu'un de chez Grasset passe par ici et y trouve à redire, qu'il me le fasse savoir.

Curieusement, je trouve la phrase qui précède déplacée, étrange, comme s'il s'agissait d'une réalité qui n'en est pas une, d'une sorte de crispation de notre culture bourgeoise, et à laquelle pourtant il faut sacrifier, comme à la source de notre schizophrènie.

20040902

Quelques rassemblements pour la libération des otages français en Irak. Bien, alors, qu'est-ce que la politique ? Est-ce une page qui lui est dédiée dans un journal, l'acte signifiant d'un élu, où ne s'infiltrerai ni le maquillage, ni les arrières-pensées, ce qui est avant et après le champ de la caméra ? Ou bien la vraie politique serait peut-être le contrechamp, comme le suggère Godard dans Notre Musique ? Et nous, public, les "anonymes", ainsi surnommés par la presse, comme si, essentiellement nous échappions au nom, serions-nous les monteurs de ce film ? Se souvenir que la Place de L'Hôtel de Ville où se déroulait l'une des manifestations était la Place de Grève. Il y a peu de siècles, la guillotine ne nous effrayait pas. Pourtant, cette histoire, est-elle réelle ? Un simple souvenir ? Un film ? La proximité des enlèvements et des jeux olympiques, comme il y a trente ans, le retour du monde sur lui-même, deux mythes surpris sur le fait : pulsion de vie, pulsion de mort (ai-je tort ?). Il y aurait beaucoup à dire, n'est-ce pas, sur : la politique et l'aïkido, ou encore sur : la politique et le bulletin de vote. Une autre fois, peut-être ?

20040828

Beaucoup de monde aujourd'hui, quelques paroles sinon rassurantes, du moins instructives...
"Et à présent la morale. La morale esthétique. Il s'agit non seulement de voir et de mettre en relief ce qu'il y a de banal dans l'histoire, les trivialités de notre vie, mais de les faire contraster avec la prétendue réalité, par des textes, des figures, des images et des éléments acoustiques, d'y ajouter ensuite un pathos de la plus haute artificialité, donc une passion nouvelle, de l'héroïser ironiquement, et peut-être autrement que par la seule ironie, et de tout briser, par exemple les situations, en utilisant la musique ou différents plans de projection, et éventuellement par des citations historiques et des associations, et tout conduire pour finir à une naïveté terriblement simple, presque enfantine, pour autant qu'une telle chose soit encore possible, en suivant nos propres souvenirs ou en nous remémorant la vie perdue de notre culture. S'il est assez flottant pour nous aiguillonner, un mouvement en spirale des sentiments et des connaissances combinera de façon inédite les choses et les événements et les êtres pour faire apparaître des mondes singuliers. Une nouvelle unité artistique comme prolongement de la vie, le mythe d'une nouvelle métaphysique à travers le cinéma. Cela paraît compliqué - mais quand quelque chose arrive directement, qu'une chose est dite ou apparaît à l'écran, ou de la musique, qu'un élément absolument étrange nous touche avec une liberté toute neuve, c'est alors comme un choc, comme une chose jamais vue ni entendue auparavant. Et c'est précisément là que le spectateur devra faire attention et se demander si ce n'est pas tout autre chose qu'on a voulu dire ou si ce n'est en somme riend 'autre que ce qui s'offre si ouvertement à lui, que ce qu'il y a à voir ou à entendre. Par exemple ici, quand on voit s'inscrire à l'écran, tout à la fin, cette simple phrase : "mais le fruit de l'esprit, c'est l'amour et la joie, etc.", il faudrait l'analyser avec précision dans le contexte d'un film, en se demandant où et quand et par qui cette chose est dite, avec quels ingrédients optiques ou acoustiques. Tout serait dans un mouvement stimulant, ou justement pas, comme la formule de Kant, "Au-dessus de nous, il y a les astres, et en nous la loi morale", qui apparaît à deux reprises et de façon totalement différente dans la dernière partie du film. Et malgré tout ce jeu, tout s'apaisera pourtant, et il revient à l'auteur du film et à son public de décider où et quand et avec quelle intensité nous pouvons nous le permettre." (in Syberberg/Paris/Nossendorf, Editions Centre Pompidou/Yellow Now, p76)

Le film Hitler, un film d'Allemagne en ligne sur le site de Syberberg

20040827

"Encloisonné dans sa chambre qu'il chérit comme un paysan sa terre, sans un regard pour ces lieux où se fourbissent au nom du savoir les armes de la puissance, entraîné dans le rêve et la tentation du signe par tout un peuple d'écritures.

Il tourne curieusement autour de lui-même sans oser se toucher même du bout des doigts. C'est donc cela, mais en réalité il ne voit qu'un décor où il aurait jadis figuré, ce qui lui procure un grand apaisement.

Ne reconnaissant presque rien en lui qu'il ne conteste, tout se passe cependant comme s'il s'était donné désormais pour règle de ne plus céder au mouvement naturel de la contestation, soit par volonté d'effacement, soit par certitude qu'il ne trouvera sa vérité propre qu'en faisant crédit au langage, dût-il persister à le tenir pour douteux, et donc à se donner le change - mensonge par omission sans lequel il basculerait à nouveau dans un silence d'autant plus inacceptable que, singeant le détachement, il ne conduit qu'à une autre forme d'imposture aggravée par le fait que c'est en un sens refuser de l'assumer.

Sa marche forcée consiste à l'éloigner de tout terme et à lui interdire d'aller nulle part. Que l'échéance demeure incertaine est peut-être justement ce qui l'encourage à persévérer. Bien plus : peut-être ne vise-t-il qu'à s'égarer toujours davantage, et qui sait si cette indifférence au but n'est pas la meilleure garantie pour le cas où les forces viendraient à lui manquer ? Peut-être, mais peut-être également s'est-il aventuré déjà trop loin. Tant de pas encore à faire, et si lents, avant de tomber le nez dans la poussière."

Louis-René des Forêts, Ostinato

Invité...

Réduire au minimum la présentation, faire de la présence du texte presque un hasard, d'une rencontre éventuelle, un accident (pas d'actes terroristes ?).
"Mal doué pour cet exercice de la parole reprise contre son voeu avec une timidité d'apprenti, doutant si c'est pour chercher à travers le corps dissocié du temps les moindres signes de son passage ou garder ce qu'il faut de raison, ou s'y perdre jusqu'au vertige - livré aux caprices d'un mouvement décousu qui le jette bravement hors de lui-même en annulant le jeu équivoque du retour à quelque expérience privilégiée, et cependant comme renvoyé par la ruée nourricière des mots à tout le tourment de sa propre vie." (Louis-René des Forêts, Ostinato)

20040825

...il y aurait beaucoup à lire, ici et là, avant de pouvoir commencer à écrire. Comment situer la fin de l'apprentissage, le moment où enfin "j'en sais assez" pour prendre à mon tour le chemin de l'écriture ? Devant le flot ininterrompu de parole dans lequel on tente aujourd'hui de surnager - pour ne prendre ici que l'exemple du weblog, où se situer, parmi les Bigtits, Myslutlife, HiroshimaBouBoum, MonChien et MesBottes, "si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui"? Prendre son ticket, donc, et du même coup s'inscrire dans la longue chaîne qui va du Rocky Horror à la Recherche du Temps Perdu. Mais on voit bien, avec Poulou, que l'on n'a jamais le ticket, et que sa présence dans la foule est toujours de l'ordre du vol. Situer l'origine de la perte ? Elle n'est pas plus situable que cet hypothétique moment où la Muse viendrait vous confier la plume. Que penser alors d'une équation qui placerait le sujet à mi-chemin entre l'histoire, la sensibilité et la vocation ? A qui confier sa voix, fors à la mer ? La seule réponse, semble-t-il, c'est le Geste

20040824

La rhétorique du blog a-t-elle un avenir ? A part quelques collages, pour "faire joli", comment mettre en scène le corps d'une manière non narcissique, évitant cet écueil-là, qui fait de l'écriture commentée, datée, un simple baromètre des émotions, sans mémoire autre que virtuelle ? En ne parlant absolument pas de soi pour mieux montrer la justesse de l'alliance du corps dans le monde (mais on peut se demander, aussi, si ce but n'est pas daté et s'il ne faut pas inventer une méthode autre, plus récente, plus proche de ce qu'est l'homme occidental aujourd'hui, ou de son impensé). Il manque bien une étape, celle qui fait du journal de l'écrivain un outil post mortem, relecture d'une oeuvre déjà écrite - au-delà de l'illusion des faux-monnayeurs - et non pas le chemin d'une abominable prétérition, qui voudrait que l'oeuvre ne soit donnée que déjà-là, dans le simple cheminement, hasardeux, de journées qui n'auraient d'autre horizon qu'elles-mêmes.

20031214

Michel Leiris
Hier colloque à Nanterre sur Michel Leiris (ou "de l'autobiographie considérée comme un art"). Je n'ai pu assister qu'à la deuxième journée. Quelques remarques autour de la fonction constituante de la tauromachie, à la fois sur la richesse d'une thématique de la blessure [il faudrait de ce point de vue étudier la lecture par Leiris de Parsifal], et sur le léger décalage - on parle de faille - qui accompagne l'art tant dans l'arène que dans l'écriture (il s'agit partout de sortir de la ligne, sur "le terrain de vérité de l'érotisme"). Idée que l'art taurin constitue dans l'oeuvre moins une métaphore qu'un exemplum. Autre exposé intéressant sur le "regard du sourd", ou comment Leiris parvient à imposer en nous l'idée précise de la musique sans description autre que vague ni considération strictement technique. Comparaisons entre les arts musical et scriptural, fécondité de l'opéra -comme "embrayeur d'anecdotes" (Anne Roche). Un art de l'allusion qui oblige le lecteur à reconstruire un monde hors du texte, dans les termes mêmes de Leiris (voilà le piège !)Intertextualité, part d'ombre, enfance : il faudra attendre la publication des actes pour ressaisir la profondeur de cette intervention. Denis Hollier posait la question de savoir si la musique, jamais décrite en soi devait s'appuyer sur autre chose pour figurer dans l'oeuvre. Question parfaite qui permet de s'interroger sur le choix des formes par Leiris (exposé sur le journal). Le journal, lieu de réception des chimères -"Chimères, mes chéries"-, révélateur des paradoxes et des grands mouvements de l'âme (sur soixante ans !), rapports divers à l'oeuvre autobiographique (esquive de la mort dans l'écriture diariste, visée défensive -" faire soi-même sa toilette de mort"). Autre communication sur la rencontre (sujet intéressant : la passante chez Leiris). Réflexions finales sur l'archive. On a projeté la création d'un site internet sur Leiris regroupant la communauté des chercheurs. Colloque finalement instructif, convivial et agréable. Sourde insatisfaction et angoisse de ma part : toutes mes idées fortes viennent des autres. Obscur destin de plagiaire. Le ridicule de ma réponse à Ph. Lejeune qui m'indique la direction du pot final : "Je vous remercie, mais je dois courir acheter des livres de Leiris." Aurais-je été si timide devant un héros de la Star Academy?

20031213

Morale et Parole.
Presque anagramme, l'une marquée par la lettre du père, l'autre par celle de la mère. Malheureusement pour la virevolte psychanalytique, l'inverse semblerait plus logique. Mais la logique, dans ces domaines... Je cite Descartes : "Conduire ses pensées et régler ses actions ainsi qu'il convient pour être heureux, voilà quel est l'objet propre de la moralité. Or la seule manière sûre d'agir comme il faut pour être heureux, c'est d'agir selon la raison" (Discours de la méthode). Il ne nous sera rien dit sur les manières peu sûres (dangereuses ? Mal fréquentées peut-être, ou plus vraisemblablement incertaines, mais manières que vous et moi sommes contraints semble-t-il d'adopter le plus souvent). Parole morale, morale de la parole : rêver sur cela, un peu. Réfléchir aussi sur la curieuse articulation de la parole vivante et pourtant essoufflée -assoiffée- de mort chez Blanchot (cf- Anacrouse sur les poèmes et Ostinato de Louis-René des Forêts).
Vu Elephant de Gus Van Sant. Je ne sais quoi penser : Ã rebours du "documentaire" - ou pas documentaire, mais vrai travail de journaliste - de Michael Moore, rien n'est véritablement démontré, sans justification poètique non plus (...), tout semble rester en suspens, comme pour marquer une sorte d'épuisement, du sens ou du regard d'un adulte effroyablement lassé de cette jeunesse pourtant aimable par nature, ou bien comme une sorte de flash brièvement, dans la musique "naturelle" comme sur la pellicule, le basculement gratuit de l'instant). Penser sérieusement à relire les Cahiers du cinéma sur la question...

20031208

Faire silence, aussi, c'est une composante irrémédiable de la parole.
A demain

20031204

Bref état des lieux de la parole (I/V).
"Faire attention au dire des paroles, c'est essentiellement autre chose qu'il n'y paraît tout d'abord, c'est-à-dire tout autre chose que de s'occuper simplement de mots" (Heidegger, Qu'appelle-t-on penser ?
Là gît la principale question.

Une femme aurait-elle le pouvoir de tout changer ? Et si, oui, quel élément de sa nature possèderait ce pouvoir ? Une voix qu'on entend à peine ? Un regard incertain ? Une peau satinée ? Comme cela est mignon ! Que l'on aimerait se prélasser dans cet imaginaire !

20031203

Variation sur un paragraphe du Ruban au cou d'Olympia
Dans la vitrine d'un marchand d'art, un cheval de Troie fait d'argile, rendu dense on ne sait comment, inachevé mais comme parfaitement articulé,
variation orientale sur un mythe de la frange de l'Orient.
Dans la solitude des glaces, le lac de lave du mont Erebus, vie sombre et sourde, bouillonnant tel l'univers, comme n'ayant aucun témoin, majesté indiscutable, sans regard pour exister.
Dans une chambre d'étudiant, un enfant de la haute mer qui sans jamais désespérer de la désespérance s'accroche au rêve du rêve d'un phantasme.
Au cinéma, le verbe si grave de Godard, au sommet dans la pesanteur comme dans la légèreté; l'identité par l'image de Syberberg, image autour de laquelle la langue ne peut que s'enrouler.
Le décalage existentiel d'un certain apprenti philosophe, une non-coïncidence qui ne peut être rejointe, mais qui constitue un appel, une invitation.
Partout le frêle qui s'ignore comme frêle, incontestablement lié à ce qui l'éreinte en le dépassant.
Le regard désirant qui regarde dans le ciel le reflet de sa timidité.
Une parole qui n'attend que nous pour être continuée,
L'arrogance exquise, la foi, ce qu'il y a d'instinctivement juste dans le dit du poète

20031202

Le solennel et le fantasque.
Il est bien tard, sur ce petit log déjà menacé par l'esprit de sérieux de son propriétaire. Si l'écriture diariste permet la relecture d'une vie en perpétuelle évolution, afin d'y trouver, des marques, des signes de progrès, des étapes à franchir, elle révèle aussi les gouffres qui bordent la frêle trace. D'où vient cette parole ? De quelle rive ou de quel passé ? Ce qui prévaut ici, c'est contre toute attente la folie du désespéré, bourreau de soi-même jusque dans ce qu'il a de plus cher. Constant regard critique, désamorçage en règle de tout récit de rêve. Personnage écorché de bavard.
On traitera de ces sujets plutôt dans le journal d'Ura, dans l'espoir sans doute de ne pas souiller un résumé irréprochable; un déroulement parfait à peine entravé par des relents inconscients morbides et putréfiés, vieux débris mi-troncs d'arbres, mi-caïmans. Ura sera soumis à la réécriture, pour ne pas risquer la dévoration, mais aussi car on -je- espère bien, a terme, pouvoir à force de pression faire de véritables diamants de ce bitume noir, atrocement noir/

20031130

On voudrait à toutes forces sortir de l'escroquerie, faire d'un muret en ruine le croisement de l'Histoire et de la sienne, donner enfin au corps l'échine de souvenirs qui conviendrait à un langage gros de sa vie. Petite icône extraite du Jardin des Plantes. "Parvenir peu à peu à écrire difficilement", voilà ce qui ne serait peut-être pas la direction à suivre, s'il était envisageable qu'on fît autrement. Certes, me voici cerné par l'aphasie que je mets moi-même en scène, discours qui se mord la queue de n'avoir aucun lecteur, encore, pour susciter l'envie. Tricheur d'un nouveau genre.
"Ailleurs, bien loin d'ici, trop tard,jamais peut-être !"
Encore le temps de (venir) voir ailleurs ?

I V R E S S E
Toute femme incapable du déchirement de Kundry ne peut me toucher.
le point sur Syberberg demain (un jour, déjà, mon prince est venu).

20031129

Comment dire autre chose que "je me suis un peu trop avancé", et dévoiler dès l'abord mon essentielle procrastination, incessant reflux d'idées sur la parole du lendemain ? Ayant à peine achevé la lecture du texte de Blanchot, trop occupé à rêver à partir de là pour qu'il me soit possible encore d'en parler - si bavard, si peu dissert... Toutes mes excuses pour ce premier décalage, laissant pour un d'un autre jour l'ici sur lequel je trébuche. Au moins pourra-t-on trouver à la racine les quelques directions qu'on garde en vue.
Vue une partie des Ailes du désir, à terminer d'urgence.
Commencé Le sous-sol de Dostoïevski ("Oh ! Si je n'avais été qu'un paresseux! comme je me serais respecté!", début du chapitre VI).

20031128

Visite à Beaubourg à l'occasion du nouvel accrochage. Et soirée de Perspective cinéma, intitulée "French Touch", plusieurs courts-métrages visitant l'urbanisme, les médias, l'espace intime. Topoï du cinéma court, trois voix modestes, trois petits chats qui tentent par grand vent de s'accrocher aux branches avec de jeunes griffes encore délicates. Quelques remarques demain sur La parole vaine, postface de Maurice Blanchot au Bavard de Louis-René des Forêts. On en profitera pour préciser la géographie et les intentions du site, quitte à revenir sur les choses vues aujourd'hui.

20031127

Pourquoi écrire quelque chose tous les jours, même si l'on a rien à dire ? D'une part, on n'a pas souvent quelque chose à dire, et la vie, sans les débordements injustifiés de la parole, serait bien silencieuse. D'autre part il est question ici d'"exercice", et cette notion suppose une part importante de répétition, d'artifice et d'erreur, éléments propices à l'émergence d'un... à l'apparition de... enfin, on ne sait pas très bien. Tout cela n'est qu'un pari sur l'avenir.
Commencé Le ruban au cou d'Olympia de Leiris.
Note aux éventuels commentateurs : je ne dévoilerai à personne de ma connaissance - sauf exception justifiée - l'adresse de cette page, qui ne sera accessible qu'au hasard. Inconnus les uns aux autres, une adresse e-mail, celle d'un site web laissées ici constitueraient des invites intéressantes, un croisement de voix.

20031126

Deux événements aujourd'hui, articulés tous deux, différemment, à l'acte de parole. Création de ce weblog, dont le nom aurait dû être "Epreuve de la parole" - mais ce terme, pas assez humble sans doute, n'aurait pas exprimé le caractère essentiellement jouissif du surgissement de la parole, quelle qu'en soit la matière, et s'est mué en exercice. Aujourd'hui encore, j'ai accédé au grade de sixième kyu en aikido (école de Kobayashi Hirokazu sensei). Tremblement dans l'univers de ma voix. Sur le site web lié à ce weblog chaque élément sera susceptible d'évoluer, ou de disparaître. Seule la voix de ce log laissera une trace indélébile. Règle fondatrice. Les autres modalités seront définies les jours prochains.